un texte de Marceau Pïvert
"...La laïcité dans l'éducation consistera donc à former les enfants, non plus en fonction d'un ordre social déterminé, mais pour eux-mêmes, Elle se connaîtra au souci constant exprimé par l'éducateur de se libérer de tous les dogmes nés de besoins sociaux non permanents. Par exemple, le respect des engagements contractés de plein gré, la sincérité, la droiture, la probité sous toutes ses formes sont naturellement des exigences permanentes de la vie en société. Quelles que soient les perturbations sociales passées ou à venir, on n'imagine pas des relations entre les hommes qui ne seraient pas basées sur ce minimum de sécurité. Mais les prétendus devoirs envers une prétendue divinité ont des origines trop transparentes dans la lutte des classes pour qu'un éducateur laïque consente à les enseigner. Sans doute, les croyants habitués à faire le bien sous la menace d'une punition ou en vue d'une récompense ne peuvent imaginer que la morale laïque se suffise à elle-même. Du moment que leur Dieu législateur et rémunérateur disparaît de l'horizon, la morale s'écroule avec lui, la vie animale reprend ses droits. Faut-il invoquer pour leur répondre le martyrologe des innombrables victimes de l'intolérance religieuse, inventeurs, savants, ou simples travailleurs aux prises avec la matière et affranchis par le jeu de leur propre expérience, des fantasmagories intéressées? Faut-il rappeler que leur désir de savoir, leur besoin de comprendre, leur courage, leur moralité en un mot, ont su porter jusqu'au sacrifice de leur vie la lutte héroïque pour la défense de leurs idées ? La conscience de participer à un immense effort collectif, pour libérer l'humanité de ses servitudes, pour maîtriser peu à peu les forces de la nature ne suffit-elle pas à des milliers et des milliers de militants pour marcher allègrement à travers un monde hostile ? La preuve est faite qu'un homme sans croyances religieuses peut vivre honnêtement de même que la preuve est faite que des fripons authentiques, pillards des deniers publics, faussaires et criminels de tous calibres s'abritent volontiers derrière le paravent de la religion, Il n'y a pas nécessairement relation entre la morale d'un individu, c'est-à-dire sa conduite dans la vie de tous les jours et ses affirmations métaphysiques ou théologiques. Cette simple observation nous suffit pour justifier notre conception de la laïcité dans l'éducation. Celle-ci consistera avant tout à faire des hommes, c'est-à-dire des êtres pensant par eux-mêmes, armés des principaux enseignements qui résultent de l'expérience humaine : langage, raisonnement, science, histoire, connaissance du milieu et du temps, mais armés aussi contre les déterminismes déformants de la vie en société. Des hommes à l'esprit mobile, et non des vieillards fossilisés, pensant par ordre ou incapables de sortir du cycle de leurs idées routinières. Des hommes d'action, ayant l'amour de l'action, et décidés à pétrir, dans la mesure de leurs forces, la société et le monde où ils sont jetés. Et pour commencer, des hommes habitués à regarder en face toute la réalité sociale : non pas celle qu'on se complaît à décrire dans les livres; non pas celle qu'une imagination fertile aurait tendance à dessiner mais celle qui existe vraiment, faite de la chair et de la misère de millions d'hommes travaillant, s'épuisant, mourant pour que d'autres jouissent et se reposent.
Ah ! comme la « neutralité » dans laquelle certains voudraient enfermer le concept « laïcité » hurle et vibre sous la bourrasque de ces vérités sociales pudiquement dissimulées..."
source :
L'église et l'école, de Marceau Pivert
source : http://www.marceau-pivert.fr/