lien de lecture ici
Voici déjà quelques années, une candidate à la maîtrise, Noëlline Castagnez, m’avait proposé un travail sur les paul-fauristes sous la IVe République. J’avais été séduit par ce sujet, parce qu’il abordait des vaincus de l’histoire, qui n’étaient guère à la mode, et parce que le grand-père de l’étudiante avait été député et proche de Paul Faure. Noëlline Castagnez pensa sans doute que, sans avoir orienté mes travaux vers l’histoire du socialisme, j’y portais un intérêt véritable pour me demander par la suite de diriger sa thèse sur les parlementaires SFIO de la IVe République. Elle souhaitait recourir à la méthode prosopographique, qui s’imposait de plus en plus en histoire contemporaine. J’étais, du reste, associé à une entreprise collective sur les parlementaires de la IIIe République, et j’avais dirigé la thèse, malheureusement toujours inédite, de René Bazin sur les élus MRP issus des deux Constituantes et des législatives de novembre 1946.
2Le socialisme français, le personnel parlementaire, la IVe République enfin, toujours assez négligée, tel était le monde complexe au sein duquel Noëlline Castagnez allait mener ses investigations. L’information est riche et diverse : dossiers des Assemblées, archives nationales, archives de l’OURS, l’Office universitaire de recherche socialiste qui, à l’initiative de Guy Mollet et de ses amis, réunit une documentation précieuse. Dans ce genre d’histoire, les imprimés sont irremplaçables, brochures, presse des fédérations socialistes, souvenirs et publications des parlementaires. Les sources orales n’ont pas été négligées, même si elles pourraient être sollicitées davantage. Il fallait ensuite forger une méthode rigoureuse et soumettre cette base de données, comprenant une centaine de champs, à une série d’interrogations. L’auteur s’est confrontée de la manière la plus exigeante aux contraintes de la prosopographie ; elle a su en tirer l’apport fondamental, c’est-à-dire allier la description sociologique d’un groupe à la spécificité des itinéraires individuels.
3Le propos du livre, qui refuse avec raison un plan chronologique, mérite d’être bien compris. Il ne prétend pas donner une chronique événementielle de la SFIO. Il n’est pas non plus une histoire complète du groupe parlementaire et de son rôle à l’Assemblée nationale et au Conseil de la République. La démarche n’est pas, cependant, de simple prosopographie. I En fait, dans cette biographie collective de 301 élus, Noëlline Castagnez veut éclairer les hommes, leur origine sociale, leur formation, mais aussi leurs références et leur mémoire, leurs itinéraires, leurs cheminements. Dès lors, se comprend la construction de l’ouvrage. La première partie, « Un parti rénové ? », marque les contraintes de l’épuration, la mémoire durable de la Résistance et le renouvellement endogène (88 % des nouveaux parlementaires sont recrutés à l’intérieur du parti) sans véritable ouverture ; les nouveaux adhérents, les jeunes, les femmes, moins présentes qu’aux groupes communiste et MRP, ne sont guère favorisés. Dans ce même volet, Noëlline Castagnez donne une précieuse présentation de l’évolution des groupes socialistes des deux Assemblées jusqu’en 1958. C’est l’occasion d’évoquer ici cette Assemblée si négligée : le Conseil de la République.
4La deuxième partie, « De l’apprenti militant à l’homme politique », répond à l’interrogation essentielle : comment sont-ils devenus socialistes ? On note le rôle du vivier des mouvements de jeunesse, les relations complexes avec les syndicats, l’importance des réseaux laïcs. Un parlementaire sur cinq a été élève d’une École normale d’instituteurs, près du tiers est entré dans l’enseignement. En 1945, le groupe comprend 28,5 % de francs-maçons, plus de 40 % en 1956. Compte aussi l’implantation locale : 42 % de ces parlementaires sont présents dès 1939 dans les conseils municipaux ou généraux. Issus pour près de la moitié des classes moyennes, ce sont les élus d’un parti au discours volontiers révolutionnaire, qui refuse au congrès d’août 1946 le renouveau souhaité par Léon Blum et Daniel Mayer.
5La troisième partie du livre, intitulée « Culture politique et engagements », revient, à travers les attitudes des parlementaires, sur les grands débats et les crises de leur temps : le pacifisme, la Résistance, les relations avec le communisme, la construction européenne et le conflit de la CED, la guerre d’Algérie.
6Un livre riche, fait de sympathie lucide pour ces hommes modestes, différents de l’image parfois caricaturale ou polémique qui longtemps domina. Ni « sociaux-traîtres » ni simples notables de province voués à la gestion, ces élus apparaissent attachés d’abord aux valeurs de la République parlementaire, à un idéal de justice sociale, aux mythes de la gauche. Certes, on pressent à travers ce livre les raisons de la crise du socialisme sous la IVe République, confronté aux défis d’un autre temps que celui de Jaurès et de Guesde, aux mutations de l’État, de l’économie, de la société, du système international. Maître de l’heure selon la formule de Léon Blum en 1945, le socialisme s’affaiblit au long de la IVe République. La crise algérienne, le retour de De Gaulle exaspèrent des divisions anciennes et en créent de nouvelles… Peu de livres apportent semblable compréhension du personnel socialiste et des réalités du socialisme français.