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L’Eglise et l’école – perspectives prolétariennes (Pivert, 1932)

source : la bataille socialiste

le livre est à lire en entier sur ce site lien

 

 

 

CHAPITRE 2 -

VIII - LES LOIS LAIQUES. INTERPRETATION

 

C'est avec des réserves non dissimulées, au contraire, que la plupart des bourgeois libéraux demandent l'instruction pour le peuple. A. Smith voulait bien éviter le rabougrissement de la classe ouvrière résultant de la spécialisation à outrance. Mais s'il recommandait pour cela « l'instruction populaire obligatoire », c'était « à doses restreintes, homéopathiques ». Et son traducteur, C. Carnier, sénateur du Premier Empire, n'hésitait pas à s'élever contre cette concession : « L'instruction populaire est contraire à la division du travail, disait-il, en l'introduisant, on proscrirait tout notre système social » (1MP). Au début de l'ère industrielle, cette prétention à maintenir le peuple dans l'ignorance pouvait paraître raisonnable. Mais à la fin du XIXème siècle, son absurdité apparaît à tous les capitalistes conscients des besoins de leur production. Aussi, les discussions qui vont se poursuivre pendant plusieurs années, vont opposer désormais les réactionnaires, cléricaux et hobereaux de province, adversaires de la laïcité et même de l'obligation aux bourgeois démocrates, soutenus par la classe ouvrière.

A vrai dire, c'est par le biais de l'obligation qu'on arrive à la laïcité.
L'obligation correspond directement à la mise en valeur de ce capital intellectuel que la production capitaliste découvre dans l'enfance populaire. Elle est portée au premier plan des préoccupations par l'ardente campagne de Jean Macé (2RD) et de la Ligue de l'Enseignement, dans les dernières années de l'Empire. Elle est traduite en propositions de loi en 1871 par Jules Simon, en 1872, par Beauvoire et Ferrouillat (3RD), en 1876, sous MacMahon, par Bardoux (4RD), en 1877, par Barodet (5RD). C'est cette dernière proposition qui fut reprise par Jules Ferry, ministre de l'Instruction publique (6MP), Paul Bert (7RD), rapportant sur la proposition Barodet avait déposé un texte comprenant 109 articles. Mais Jules Ferry divisa la difficulté et fit adopter d'abord la gratuité, puis l'obligation, et enfin la laïcité.

Sur la gratuité, l'opposition cléricale prend la même forme et la même violence que de nos jours (pour l'enseignement secondaire). Mgr Freppel (8RD) trouve injuste de faire cadeau aux riches de la rétribution scolaire qu'ils peuvent payer. Il défend les pauvres ! Et Beaussire trouve qu'il n'est pas bon de ne pas faire payer les parents, car le devoir d'instruire leurs enfants comporte un sacrifice... L'instruction n'est pas un droit pour les pauvres. Elle est un prétexte à l'exercice de la charité chrétienne par les riches. Contre l'idéologie jacobine « l'instruction est une dette de la société envers tous », les orateurs de l'ancien régime tirent à boulets rouges et menacent la bourgeoisie du danger socialiste ou communiste. Ils essaient vainement d'obtenir des subventions de l'Etat pour leurs écoles libres : l'énergie de Paul Bert, en particulier, assure le vote de la gratuité le 11 juin 1881. La lutte pour l'obligation et son corollaire la laïcité est plus âpre. Il faudra une consultation électorale pour imposer au Sénat la volonté de la majorité du pays.

Jules Ferry distingue l'obligation de l'instruction, de l'obligation de l'école. Pour pouvoir imposer cette obligation, il faut que l'enseignement religieux soit exclu des matières du programme. Mais Jules Ferry proposait de consulter les parents et de faire donner dans l'Ecole, par les ministres du culte, l'instruction religieuse; tandis que Paul Bert, soutenu par la Commission, considérait cette concession comme très dangereuse.

Contre la droite déchaînée, la gauche doit soutenir une bataille homérique de traquenards, de contre-projets, d'amendements insidieux.

Comme il arrive en ces circonstances, on voit les cléricaux battus changer de position et démontrer l'impossibilité de la neutralité scolaire « qui ne produirait que des sceptiques et des indifférents». Après avoir adopté l'obligation, le Parlement fixe les matières du programme et l'opposition cherche à introduire dans ceux-ci les devoirs envers Dieu. Sur ce point, Jules Ferry n'est pas intransigeant, comme nous le verrons plus loin. « L'instituteur, dit-il, peut fort bien faire répéter le catéchisme en dehors des heures de classe ». Il insère seulement l'effort de laïcité scolaire dans le processus de sécularisation générale des pouvoirs que domine l'histoire : sécularisation du savoir, philosophique avec Descartes et Bacon, sécularisation du pouvoir civil avec la Révolution, sécularisation de l'Ecole enfin, en attendant la sécularisation de l'Etat... A ce moment, Jules Ferry interprète exactement la marche des idées et des institutions et il est le porte-parole de la bourgeoisie révolutionnaire contre le cléricalisme conservateur. Il s'appuie sur l'autorité de Guizot et reproduit l'interprétation de ce grand homme de la bourgeoisie. Il ne craint pas de souligner la justification profonde de la neutralité confessionnelle : c'est au pouvoir politique de l'Eglise, à sa fonction de conservation sociale qu'il s'attaque bien plus qu'à son pouvoir spirituel. « Il importe à la sécurité de l'avenir que la surintendance des écoles et la déclaration des doctrines qui s'y enseignent n'appartiennent pas aux prélats qui ont déclaré que la Révolution française est un déicide... ou que les principes de 89 sont la négation du péché originel ». Mais l'homme d'Etat bourgeois n'oublie pas qu'il y a une classe mécontente de l'ordre social et pour calmer les impatiences du prolétariat il admet, il préconise même une métaphysique destinée, contre les perturbateurs possibles, à préserver son propre pouvoir. Neutralité confessionnelle et laïcité prennent ici leur véritable sens. Au dogmatisme clérical se substitue tout naturellement un autre dogmatisme, qu'il nous faudra serrer de près. « Il faut se garder de deux sortes de dangers, car l'esprit sectaire pourrait, dans celle question prendre une double forme », avoue Jules Ferry. Ainsi se révèle bien l'existence des trois courants qui traversent le siècle du capitalisme épanoui. Mais Paul Bert a un autre langage et répondant à Ribot, qui veut faire des « lament légitimes », il exprime énergiquement avec ce franc-parler si cher aux paysans de l'Yonne, la poussée populaire vers une véritable laïcité. « On ne supprime pas la guerre parce qu'on n'en parle pas... nous voyons le conflit... le prêtre veut, avant tout, exercer une action politique : voilà pourquoi je trouve extrêmement dangereux d'introduire le prêtre dans l'école».

Au Sénat, par la bouche de Tolain (9RD), l'accent de révolte du prolétariat opprimé soulève des tempêtes de la droite ; « La liberté que vous venez défendre ici, ce c'est pas la liberté pour tout le monde ; c'est une liberté d'une nature particulière, spéciale, c'est la liberté des catholiques. En dehors de la Liberté des catholiques, il n'existe plus rien; partout où le prêtre catholique n'est pas le maître d’imposer ce qu'il appelle des vérités révélées, vous déclarez que vous n'êtes plus libres, vous déclarez qu'on vous offense. Quant â ceux qui professent une autre religion, quant aux libres-penseurs, pour vous ils ne comptent pas. » Et après un réquisitoire énergique contre l'Eglise Tolain traduit la conception des travailleurs : l’enfant qui vient au monde n'est pas celui à qui
« …il faut prêter aide et secours;... il se présente comme créancier de la société ; non seulement il a le droit d'exiger l'enseignement primaire, mais le jour où nous le pourrons, nous transformerons l'instruction primaire en instruction intégrale de manière que, progressivement, les lettres, les sciences, les arts, toutes les branches des connaissances humaines deviennent le domaine commun de tous les citoyens. »

Naturellement, Jules Ferry se désolidarise de ce langage, et ses déclarations permettent à l'opposition cléricale de reprendre une partie du terrain perdu d'abord au sujet de l'article 2 : Lucien Brun fait voter par 139 voix contre 134 un amendement concernant l'enseignement religieux dans l'école (en dehors des heures de classe), puis Jules Simon fait introduire dans la loi les devoirs envers Dieu (139 voix contre 126).

La Chambre maintient son texte mais il faut attendre les élections législatives et le renouvellement partiel du Sénat pour mettre d'accord les deux Assemblées. Le pays se prononce pour les lois laïques à une écrasante majorité : au Sénat, la droite perd 24 sièges ; à la Chambre 475 députés sont favorables à la réforme contre 90 réactionnaires. L'amendement Jules Simon est repoussé par le Sénat La loi est promulguée le 28 mars 1882.

Mais les craintes exprimées par Jules Simon :
« La société se trouve sur la pente de l'athéisme public», n'ont pas été sans influencer la bourgeoisie: dans le programme des leçons de morale, Jules Ferry, le 27 juillet suivant, donne satisfaction aux aspirations conservatrices en réservant un chapitre aux Devoirs envers Dieu...
Comment expliquer un tel enthousiasme en faveur de l'obligation scolaire et par suite, de la neutralité confessionnelle ? Par les exigences de la production, avons-nous affirmé; par la mystique nationaliste très forte, au lendemain d'une défaite, doit-on ajouter :
« Autrefois, l’instruction primaire pouvait être considérée comme une affaire de luxe. Aujourd'hui la science est tellement nécessaire dans toutes les fonctions, dans toutes les occupations que celui qui ne sait ni lire ni écrire est une sorte de déshérité dans la société. Ce qui est vrai des particuliers est aussi vrai des nations et il sera de plus en plus exact de dire que les premières entre les nation seront celles ou l’enseignement primaire sera le plus répandu » (10MP).

A quoi répondent les représentants de la noblesse terrienne
« Un cultivateur honnête n'ignore pas que la géographie et l'histoire que l'on enseigne à ses enfants ne leur serviront pas à grand'chose pour labourer la terre ou pour élever le bétail » (11RD). On ne peut pas mettre en évidence plus clairement les raisons profondes de la législation laïque. Ces raisons, d'ailleurs, déterminent à leur tour les conceptions essentielles de l'éducation morale. Avec la droite, « une nation ne peut vivre sans la connaissance de l'origine et de la fin de l'homme, d'un Dieu créateur et rémunérateur » (12MP). C'est surtout pour la masse que cette absence de religion parait pernicieuse et dissolvante, « Vous acculez l'enfant de l'ouvrier, du laboureur, l'école publique laïcisée, à l'école sans culte et sans Dieu... à cette école qui deviendra fatalement une école contre Dieu... Vous ne connaissez pas ce peuple qui estime encore que le respect de la loi de Dieu est la condition du respect du fils pour le chef de famille. Vous ne montrez pas le respect des petits et des pauvres que l'on est en droit d'attendre de vos opinions et surtout de vos proclamations. Ces petits, ces pauvres, ils sont timides. Il faut bien qu'ils croient en la Providence pour que, voyant passer tant de régimes qui ne leur donnent pas ce qu'ils leur ont promis, et tant de politiciens qui manquent effrontément aux serments qu'ils ont faits, ils se résignent au pain quotidien.»
« ... Les socialistes ne sont pas d'accord avec vous sur le précepte de morale dont l'enseignement est peut être le plus nécessaire pour les masses ; le respect du bien d'autrui ; ils veulent la propriété collective et vous interdirez cette morale, qui peut contrarier celle dont les progrès alarment et la France et l'Europe ? »
« Vous faites une loi pour des enfants qui demeureront, pour la plupart, attachés à la glèbe ou à l'atelier. Que seraient les masses sans morale certaine et immuable : leur raison ne saura pas s'élever fort au-dessus des misères matérielles avec lesquelles ils sont condamnés à lutter jusqu'à la fin... Or, il n'y a de morale certaine et immuable que dans la religion. L'Eglise catholique, avec sa constitution unitaire, possède une efficacité admirable. Gouvernement, législateur, connaissez-vous un plus puissant et un plus sûr auxilaire? » (13MP)

Le rôle social de l'Eglise n'est donc pas une invention de « sectaire ». De l'aveu de ses porte-paroles les plus qualifiés, il est incontestablement conservateur d'une certaine hiérarchie sociale. Les nobles, les propriétaires terriens, installés confortablement sur leur position dominante, ne peuvent pas concevoir d'autre hiérarchie sociale que celle qui les place au sommet, d'autre éducation morale que celle qui admet l'éternité de ces rapports de classes dont ils sont les bénéficiaires naturels.

L'Eglise est pour eux un auxiliaire admirable d' « efficacité ». Et l'éducation en découle. Mgr Freppel admet comme un devoir essentiel des parents « de procurer à leurs enfants une éducation convenable, proportionnée à leurs ressources, en rapport avec leur position dans la société ». Mais rien de plus. Sinon, dans quelle voie s’engage-t-on ? Les inégalités sociales seront encore bien plus sensibles au sortir de l'école. Veut-on admettre les enfants du peuple dans les grandes écoles ? Pourvoir à leur entretien ? En un mot réaliser l'égalité sociale ? Non ! n'est-ce pas ? Alors conservons cette division de la société en classes ! Justifions-là aux yeux des humbles ! Aidons-les à patienter dans cette vallée de larmes par l'espérance des compensations éternelles du Ciel... Rien n’est plus clair que cette métaphysique naïve se portant au secours des puissants pour maintenir par tous les moyens, un ordre social déterminé.

Mais l'appel des forces productives ne peut se contenter de cette stabilité dans le néant. Les couches sociales entraînées dans l'industrialisme, le mouvement même des échanges, des perfectionnements techniques, des besoins intellectuels nouveaux s'opposent violemment à cette prétention des repus. Lockroy, Hippolyte Maze, Chalamet, Corbon, Tolain, Clémenceau, Paul Bert (14RD), etc.... traduisent clairement l'antagonisme entre la théologie et les forces productives. Ils ne sont pas qualifiés pour enseigner le travail, ceux qui se réfèrent à Saint Paul. « Fuyez ceux qui étudient toujours et ne pensent jamais à parvenir à la connaissance de la vérité ; comme Jonès et Membris ont résisté à Moïse, ceux-ci de même résistent à la vérité, étant des gens qui ont l'esprit corrompu et qui sont réprouvés quant à la foi », ou bien ceux qui définissent ainsi l'objet principal de l'éducation : « Les frères apprendront aux écoliers à lire le français, le latin, les lettres écrites à la main, à écrire. Ils mettront cependant leur premier et principal soin à apprendre à leurs écoliers les prières du matin et du soir, le Pater, l'Ave Maria, le Credo, le Confiteor, et ces mêmes prières en français, les commandements de Dieu et de l'Eglise, les réponses de la Sainte Messe, le catéchisme, les devoirs du chrétien et les maximes pratiques que Notre Seigneur nous a laissées dans le Saint Evangile ». Leur obscurantisme volontaire les porte à enseigner des monstruosités scientifiques (15MP).
« Pourquoi l'air est-il invisible ?
- L'air est invisible parce que s'il était visible, la vue des objets ne serait pas distincte !
« Quelle est l'utilité de l'air ?
- L'air est un messager qui nous apporte les odeurs et nous fait connaître les bonnes et les mauvaises qualités des viandes. »
« ... Chaque jour Dieu marque au soleil le point d'où il doit sortir et celui où il doit s'arrêter afin qu'il répande sa chaleur et sa lumière sur tous les hommes, les méchants comme les bons » (16RD).

Le caractère de cet enseignement révolte les hommes conscients des bienfaits de la science dans le domaine de la production. C'est un orateur de droite, le baron Lafond de Saint-Mür qui apporte sur ce point son appui aux républicains : son utilitarisme social prévaut sur son conservatisme :
« Qui sait si parmi ces 600.000 enfants du peuple qui courent nu-pieds dans la rue, condamnés par le fait du père, à demeurer dénués, incultes, à ne rien savoir, qui sait s'il n'en est pas parmi eux quelques-uns qui auraient un jour ajouté une découverte au catalogue de l'humanité ou s'ils ne portaient pas dans leur cerveau la destinée d'un monde ? Mon vote serait acquis à l'instruction obligatoire à cette seule pensée de laisser dormir ce capital improductif dans tant de milliers de jeunes têtes... »

Et Corbon (17RD) démontre que l'Eglise n'a jamais honoré le travail : « Dans la longue série des saints envoyés au Paradis, on n'en aurait pas trouvé un seul qui ait été canonisé pour s'être montré un grand travailleur, pour avoir élargi le domaine, l'activité humaine, pour avoir été , par ses découvertes, un bienfaiteur de l'humanité. »

En face du Panthéon catholique, le « Palais de l'Industrie » rappelle, lui, « trois ou quatre cents noms de mathématiciens, d'artistes, de constructeurs, d'inventeurs, de travailleurs de tout genre… et pas un seul homme n'y figure pour sa piété ». Cette simple comparaison oppose la société catholique « humanité qui ne pense qu'au ciel et se laisse conduire au ciel par la main de l'Eglise » à la société moderne, « humanité qui ne songe plus à la béatitude éternelle, mais songe aux intérêts de ce monde et cherche à prendre possession de la terre par la science et par le travail ».

On pourrait multiplier les preuves de ce divorce croissant entre les thèses catholiques, conservatrices d'un ordre social déterminé, et les thèses « républicaines », inspirées par le mouvement même de l'histoire. Dans cette lutte apparait bien le caractère dynamique du capitalisme, destructeur des valeurs et des hiérarchies qui ne viennent pas de lui; et aussi la relativité de ses concepts révolutionnaires, de sa laïcité. Car c'est en vue de substituer son ordre à l'ordre économique qu'il doit détruire intégralement, c'est en vue d'installer ses valeurs, sa hiérarchie, ses dogmes à la place des valeurs, de la hiérarchie, des dogmes féodaux qu'il lutte pour la laïcité. Placé à la pointe du combat social, il entraine derrière lui, contre l'immobilisme des cléricaux, contre le conservatisme des seigneurs ruraux les masses ouvrières à peine conscientes de leurs intérêts spécifiques.

Mais il crée un certain nombre d'idéologies propres qui donnent bien à sa laïcité son caractère relatif. Ainsi, il fait sienne la mystique nationale extrêmement vivace dans l'Europe du XIX° siècle et plus encore dans la France mutilée par la guerre de 1870. Cette mystique nationale est une des causes, elle aussi, du mouvement en faveur de l'instruction populaire obligatoire, gratuite et laïque. Dès le lendemain de la guerre, le « relèvement du pays » exige cet effort général d'instruction. « Aucune autre question n'offre plus d'intérêt pour le relèvement de la France. » Laïques et cléricaux se disputeront l'honneur d'être les meilleurs patriotes, les meilleurs serviteurs de la grandeur de la patrie.

La mystique nationale se manifeste sur tous les bancs du Parlement. Elle est si forte que les écoles socialistes, diverses de cette époque n'en sont pas toutes débarrassées. Benoît Malon va jusqu'à demander en même temps que « les repas scolaires et les fournitures gratuites, les bataillons scolaires ouverts à tous » (18MP).

Paul Bert regrette la séparation des enfants dès l’école parce que « c'est une mauvaise préparation à l’union, à la concorde et à la fraternité qui doivent exister entre les enfants de la Mère Patrie ».

« En votant cette loi vous aurez bien mérité de la Patrie » affirment plusieurs orateurs républicains.

Et la droite ajoute : « Il n'y a pas de patriotisme sans religion » (19MP).
« Nous le demandons (l'enseignement religieux) pour nos soldats et nous croyons que, quand nous disons à un homme : « Marche au-devant de la a mitraille », il est bon de lui dire que Dieu le voit ; que, quand le soldat dit : « En avant pour Dieu et pour la Patrie », il dit une chose dont personne n'a le droit de rire ; que le sentiment qu'il porte dans son cœur, le sentiment qui fait le sacrifice, qui fait les héros, est un grand sentiment et qu'on ne devrait jamais le rappeler au milieu des hommes sans exciter parmi eux tous une sympathie respectueuse » (20MP).

Quant à Jules Ferry, il défend ainsi le « point de vue démocratique » : « Il importe à une sociétécomme la nôtre, à la France d'aujourd'hui, de mêler, sur les bancs de l'école, les enfants qui se trouvent une peu plus tard mêlés sous le drapeau de la Patrie » (21MP).

Voici donc instituée, dans des conditions bien déterminées, une école publique écartant de sa gestion le catholicisme, confessionnelle ment neutre, mais nullement dégagée de certains dogmes « laïques » utilitaires. Le cléricalisme est écarté de l'école. Tout son zèle désormais va consister à convaincre la bourgeoisie elle-même qu'il n'est pas sans danger d'écarter l'Église du pouvoir. Par son adaptation remarquable au dispositif des classes en lutte, dispositif qui souligne le rôle croissant du prolétariat, l'Eglise va essayer de reconquérir les bonnes grâces du capitalisme. Elle n'hésitera pas, si cela est nécessaire, à trahir les intérêts de la hiérarchie féodale vétuste et des castes nobiliaires submergées. Elle se portera résolument avec son appareil coercitif et ses doctrines conservatrices, contre le socialisme menaçant.


(1MP) Cf. K. Marx, trad. Molitor. p. 266.
(2RD) Jean Macé et la Ligue de l’enseignement.
(3RD) Beauvoire et Fenouillat.
(4RD) Bardoux
(5RD)Barodet
(6MP) Pour le détail des discussions des lois laïques au Parlement, cf. L'Ecole de la République, par Alexandre Israël.
(7RD) Bert, Paul
(8RD) Freppel Mgr
(9RD) Tolain
(10MP) Paul Jozon, discours du 14 décembre 1880, J. O., p. 297.
(11RD) De Villiers, id. J. O., p. 305.
(12MP) De la Bassetière, discours du 4 décembre 1880. 1.0., p. 78.
(13MP) De Villiers. discours du 14 décembre 1880. J. O., p. 307.308.
(14RD) Lockroy, Hippolyte Maze, Chalamet, Corbon, Tolain, Clémenceau, Paul Bert
(15MP) Discours de Lockroy, 17 décembre 1880. J. O., p. 25. (Le texte cité est tiré des statuts de la Congrégation des frères des écoles chrétiennes.)
(17RD) Corbon
(16MP) Discours de Chalamet, 16 décembre 1880. J. O., 336. (Textes extraits du catéchisme de Mgr Caume, approuvé par le pape et enseigné alors dans toutes les Ecoles du diocèse de Paris.)
(18MP).Revue socialiste, 1885, p. 904.
(19MP).Baron de Lareinty, Sénat, 21 décembre 1880.
(20MP) Jules Simon, Sénat, 11 mars 1882.
(21MP) Remarquons que c'est ce même sentiment qui prévaut encore dans les discours des démocrates d'aujourd'hui. « Les écoles, petits temples de la concorde nationale, » (M. Herriot, Chambre. J. 0., 4 juillet 1930.)

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