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source : http://www.assemblee-nationale.fr/histoire/jaures/discours/peine-de-mort_24121894.asp

 

Séance du 24 décembre 1894

Présidence d'Henri Brisson

Au lendemain de la condamnation du capitaine Dreyfus à la dégradation et à la déportation à vie, le général Mercier dépose un projet de loi rendant le crime d'espionnage punissable de la peine de mort. Jean Jaurès, qui ne met pas encore en doute la culpabilité d’Alfred Dreyfus, demande la révision des articles du code de justice militaire qui portent sur les voies de fait commises au service, pour en supprimer la peine de mort. Il fait devant la Chambre des députés le constat suivant : « Le capitaine Dreyfus, convaincu de trahison par un jugement unanime, n’a pas été condamné à mort. Et en face de ces jugements le pays voit qu’on fusille, sans grâce et sans pitié, de simples soldats coupables d’une minute d’égarement et de violence. » Le projet de loi n'est pas adopté.

 

M. Jaurès. — Messieurs, si je dépose, au nom de mes collègues socialistes, une autre proposition de loi que celle qu’a déposée tout à l’heure M. le ministre de la guerre, c’est parce que nous estimons que les événements auxquels il a certainement pensé et en vertu desquels il a déposé son projet appellent une autre suite que celle qui est indiquée par le gouvernement lui-même.

Je comprends très bien qu’au lendemain des événements que vous connaissez, le gouvernement tout entier s’émeuve du contraste douloureux qui s’impose certainement à la conscience publique.

D’un côté, tous ceux qui depuis vingt ans ont été convaincus de trahison envers la patrie ont échappé à la peine de mort pour des raisons diverses. Le maréchal Bazaine, convaincu de trahison, a été condamné à mort, mais n’a pas été fusillé. Le capitaine Dreyfus, convaincu de trahison par un jugement unanime, n’a pas été condamné à mort. Et en face de ces jugements, le pays voit qu’on fusille, sans grâce et sans pitié, de simples soldats coupables d’une minute d’égarement et de violence. (Applaudissements à l’extrême gauche.)

Je comprends, encore une fois, que le gouvernement s’émeuve comme le pays de ce douloureux et singulier contraste ; mais pour rétablir l’égalité odieusement violée par ces pratiques, M. le ministre de la guerre apporte-t-il le vrai remède ? Est-il nécessaire, pour pouvoir appliquer en matière de trahison la peine de mort, d’aggraver la législation actuelle ? Dans les cas analogues à ceux pour lesquels le maréchal Bazaine a été poursuivi, cela est inutile, puisque Bazaine a été condamné à mort et qu’il n’a échappé à l’exécution de la sentence que par une de ces grâces présidentielles qui ne descendent pas souvent sur les soldats dont je parlais tout à l’heure. (Très bien ! très bien ! à l’extrême gauche. — Interruptions.)

Mais pour les cas analogues à celui du capitaine Dreyfus, M. le ministre de la guerre est-il dans le vrai ? Messieurs, vous entendez bien que je n’ai ni l’intention ni le droit de discuter un semblable jugement ; mais nous avons le devoir, nous Parlement, quand le gouvernement nous saisit de la question, de nous demander s’il est vrai que si des actes abominables analogues à celui du capitaine Dreyfus se renouvelaient, la justice du pays serait désarmée.

Vous me permettrez bien, messieurs, de faire tout d’abord cette simple remarque…

M. Charles Dupuy, président du conseil, ministre de l’intérieur et des cultes. — Est-ce que vous développez une interpellation en ce moment ?

M. Jaurès. — Monsieur le président du conseil…

M. le Président. — M. Jaurès a annoncé le dépôt d’une proposition de loi en faveur de laquelle il demande l’urgence…

M. le Président du conseil. — C’est l’exposé des motifs, alors ?

M. Charles Ferry. — Qu’il en donne lecture !

M. le Président. — … et il indique en ce moment les motifs de l’urgence.

J’ai fait d’ailleurs observer à M. Jaurès, au moment où il montait à la tribune, qu’il ne pouvait pas discuter le projet de loi déposé il y a un instant par M. le ministre de la guerre, puisque ce projet est renvoyé à la commission de l’armée et qu’il n’est pas en délibération.

Un membre à gauche. — M. Jaurès ne peut discuter davantage sa proposition ; nous ne la connaissons pas.

M. Jaurès. — Je suis surpris… (Bruit.)

Sur divers bancs. — Lisez ! lisez !

M. le comte de Bernis. — Nous demandons à connaître la proposition de loi de M. Jaurès.

A droite. — Qu’il la lise !

M. le Président. — L’orateur va dire quelle est sa proposition.

M. Jaurès. — Messieurs, je suis un peu surpris que l’on veuille m’interdire de présenter les motifs de ma proposition autrement que sous forme de lecture ; je suis surpris qu’on ne comprenne pas qu’au moment même où l’urgence, parce qu’elle procède des mêmes événements et des mêmes préoccupations qui ont amené M. le ministre de la guerre à déposer son projet de loi, j’aie besoin d’indiquer que ma proposition n’est pas inspirée par les mêmes considérations qui ont déterminé le dépôt du projet de loi.

Ce que nous voulons, ce que je propose, c’est de rétablir dans ce pays-ci, en matière de justice militaire, l’égalité ; ce que je propose, c’est après avoir constaté — c’est la démonstration que j’allais faire — que si on n’a pas fusillé pour trahison, c’est parce que l’on ne l’a pas voulu, alors que la loi le permet. (Nombreuses et vives exclamations au centre, à gauche et à droite. — Très bien ! très bien ! sur quelques bancs à l’extrême gauche.)

M. Bringard. — C’est abominable !

M. Le comte de Bernis. — Voulez-vous mettre le conseil de guerre en accusation ?

M. Marcel-Habert. — Vous insultez le conseil de guerre, monsieur Jaurès !

Sur un grand nombre de bancs. — A l’ordre ! à l’ordre !

M. le Président. — Il vous est impossible, monsieur Jaurès, de tenir un pareil langage, injurieux pour les membres du conseil de guerre (Vifs applaudissements sur un grand nombre de bancs), je vous rappelle formellement à l’ordre pour cette parole. (Nouveaux applaudissements.)

Sur un grand nombre de bancs. — Ce langage est honteux ! (Bruit prolongé.)

M. le lieutenant-colonel Guérin. — Ce que vient de dire l’orateur est absolument faux !

M. le comte de Bernis. — Sous la Commune, on ne faisait pas de façons !

M. Cunéo d’Ornano. — Le conseil de guerre a appliqué la loi, toute la loi.

M. le Président. — Veuillez faire silence, messieurs ; la question est assez douloureuse pour ne pas la faire dévier par des interruptions. (Très bien ! très bien !)

Monsieur Jaurès, je vous en conjure, veuillez faire connaître votre proposition et motiver l’urgence que vous demandez.

M. Jaurès. — Je regrette, messieurs, d’avoir été interrompu par M. le président du conseil au cours de ma démonstration, et vous me permettrez de mettre, en une question aussi délicate et en effet aussi douloureuse, sur le compte du trouble que les interruptions peuvent causer, ce qui vous choque dans les expressions dont je me suis servi. (Exclamations sur un grand nombre de bancs.)

Je dis et j’ai le droit de dire à cette tribune que pour rétablir l’égalité dans l’application des peines militaires, ce n’est pas la révision des lois relatives à la trahison qui doit être poursuivie, parce qu’à mon sens — et c’est la démonstration que je dois faire — la loi actuelle permet de frapper de mort le crime de trahison. (Réclamations et bruit prolongé.)

M. le Président du conseil. — C’est faux ! (Exclamations à l’extrême gauche.) Vous savez le contraire ! (Nouvelles exclamations sur les mêmes bancs.) Oui, vous le savez !

M. Jaurès. — Monsieur le président du conseil, vous n’avez pas le droit de me tenir ce langage.

M. le Président du conseil. — J’ai ce droit… La loi ne permet pas ce que vous dites.

M. le Président. — Monsieur Jaurès, je vous répète que vous entrez dans la discussion, qui n’est pas à l’ordre du jour…

M. Gamard. — Et qui ne peut pas y être !

M. le Président. — … du projet déposé par M. le ministre de la guerre. Veuillez vous borner à indiquer l’objet de votre proposition de loi et à donner sommairement les raisons que vous avez de demander l’urgence en sa faveur. (Applaudissements.)

M. Jaurès. — Lorsque je demande à la Chambre…

Au centre et à droite. — Lisez !

M. Jaurès. — La proposition en faveur de laquelle nous demandons l’urgence…

Sur les mêmes bancs. — Lisez !

M. le comte de Bernis. — C’est donc un secret que cette proposition !

M. le Président. — Messieurs, vous ne pouvez pas imposer une lecture.

M. Jaurès va sans doute indiquer les lignes principales de sa proposition. Je le rappelle à cette question, la seule qui puisse être posée en ce moment.

M. Jaurès. — Nous demandons à la Chambre de prononcer l’urgence en faveur d’une proposition de loi tendant à réviser les articles 221, 22 et 223 du code de justice militaire, qui frappent de mort le soldat coupable simplement dans une minute d’égarement d’un acte de violence envers l’un de ses chefs. (Mouvements divers.)

Et le motif de l’urgence est double : nous le tirons d’abord de la contradiction qu’il y a entre la dureté, à notre sens, la brutalité excessive de cette disposition, et l’adoucissement général de la pénalité en d’autres matières.

En outre, ce qui nous a paru motiver particulièrement l’urgence, c’est le contraste que j’ai rappelé tout à l’heure, d’autant plus frappant, d’autant plus douloureux — et vous voyez par là que je n’étais pas sorti de la question — c’est mon devoir de faire la démonstration (Non ! non ! sur un grand nombre de bancs) — que la loi actuelle permet de condamner à mort pour crime de trahison. (Non ! non ! sur les mêmes bancs.)

M. Cunéo d’Ornano. — Lisez le code pénal !

M. Jaurès. — Vous entendez bien que ma proposition sera d’autant plus urgente, qu’elle s’imposera avec d’autant plus de nécessité, que ce n’est pas en vertu des prescriptions impérieuses de la loi qu’on aura jusqu’ici refusé de condamner à mort les traîtres : et alors, j’ai le droit de faire en deux mots cette démonstration, qui est le complément de la thèse que j’apporte ici. (Vives protestations sur un grand nombre de bancs. — Très bien ! très bien ! à l’extrême gauche.)

M. Marcel-Habert. — Vous entrez dans le fond du débat. Vous ne discutez pas l’urgence.

M. Jaurès. — Je montre l’urgence de ma proposition.

Sur un grand nombre de bancs. — Non ! non !

A l’extrême gauche. — Parlez ! parlez !

M. le baron Reille. — Vous ne pouvez pas discuter la décision du conseil de guerre.

M. Jaurès. — Je répète qu’il est d’autant plus pressant de rétablir l’égalité dans l’application de la justice militaire, par la disposition que je vous soumets, qu’il était parfaitement possible, d’après les lois actuelles, d’appliquer la peine de mort. (Vives réclamations sur un grand nombre de bancs.)

Au centre. — A l’ordre ! à l’ordre !

M. Marcel-Habert. — Vos paroles tendent à affaiblir les décisions du conseil de guerre ; c’est une insulte à la justice militaire ! (Très bien !)

M. le Président. — Je suis obligé de rappeler une seconde fois à M. Jaurès qu’il sort complètement de la question de l’urgence sur sa proposition, et qu’il discute au fond en ce moment une proposition qui n’est pas en délibération. Je le prie de se renfermer dans la question spéciale qu’il a posée.

Au centre. — Et qu’on ne connaît pas.

M. le baron Demarçay. — Il n’y a pas de proposition ! Il n’y a rien.

M. le comte de Bernis. — Et remarquez que personne ne pourra répondre.

 

M. Jaurès. — Ce n’est pas moi, messieurs, qui apporte dans ce débat un examen quelconque d’un jugement quelconque…

Sur plusieurs bancs. — Allons donc !

M. Jaurès. — Notre droit, notre devoir de législateurs est de nous demander si demain, des circonstances analogues se reproduisent, la justice militaire serait désarmée ; et c’est parce que j’estime qu’elle ne serait pas désarmée que je démontre qu’il y a urgence… (Vives exclamations sur divers bancs.)

M. Le Président. — Monsieur Jaurès, si vous voulez entrer dans cet ordre de démonstration, demandez à la Chambre de mettre immédiatement à son ordre du jour le projet de loi déposé par M. le ministre de la guerre, et suivant la décision qu’elle aura prise, ce projet pourra ou ne pourra pas venir en délibération. (Très bien ! très bien !) Mais tant que le projet de loi n’est pas mis à l’ordre du jour, je ne puis pas vous en laisser discuter le fond. (Très bien ! très bien !)

M. Jaurès. — Mais, messieurs, si le projet de M. le ministre de la guerre… (Interruptions et rumeurs au centre.)

Il est singulier, messieurs, qu’au lendemain du jour où ce contraste dont je parlais tout à l’heure a ému en effet l’opinion publique, nous n’ayons pas le droit de dire que la différence tient non pas à l’insuffisance de certaines parties de la loi (Exclamations), mais à l’exagération des lois qui frappent dans d’autres cas le simple soldat. (Très bien ! très bien ! à l’extrême gauche. — Interruptions.)

Et alors je prétends que ce qui est urgent, ce n’est pas de réviser les lois relatives à la trahison…

M. Émile Chevallier, ironiquement. — C’est de supprimer la discipline dans l’armée !

M. Jaurès. — … car il y a un article 76… (Bruit.)

M. Gotteron. — Voilà la discussion qui recommence !

M. le Président. — C’est en effet la discussion du fond, monsieur Jaurès. Passez à votre proposition.

M. Jaurès. — Je constate que la Chambre m’interdit…

Voix nombreuses. — Oui ! oui !

Au centre. — Elle vous interdit de suspecter le patriotisme du conseil de guerre.

M. le Président. — La Chambre ne vous interdit rien ; c’est le règlement et le président qui prononcent l’interdiction, et j’en prends toute la responsabilité. (Applaudissements.)

M. Jaurès. — Eh bien ! messieurs, il ne me reste plus…

 

M. Cunéo d’Ornano. — Le règlement ne nous permet pas de vous répondre, vous ne pouvez continuer.

M. Jaurès. — J’ai dit, messieurs, que nous demandons par une proposition spéciale pour laquelle nous demandons le bénéfice de l’urgence, de réviser ces articles 221, 222, 223 du code de justice militaire qui frappent avec exagération, selon nous, les fautes commises par les soldats…

M. Émile Chevallier. — Et par les officiers !

 

M. Jaurès. — … et puisque vous voulez que j’ajourne jusqu’au moment de la discussion du fond les autres considérations que j’entendais vous présenter, je me réserve de vous montrer à ce moment que notre proposition est d’autant plus juste, d’autant plus urgente, et que c’est là d’autant plus que doit porter le premier effort de révision, que d’aucun texte de loi il ne résulte qu’on ne puisse appliquer la peine de mort au crime de trahison. (Vives exclamations sur un grand nombre de bancs.)

Sur divers bancs. — A l’ordre ! à l’ordre !

M. le Président. — La parole que j’ai réprimée par un rappel à l’ordre n’a pas été reproduite, au moins que je sache.

M. Jaurès demande la déclaration d’urgence pour sa proposition de loi.

Au centre. — Nous en attendons la lecture.

M. le baron Reille. — Elle n’est pas rédigée !

 

M. le baron Demarçay. — Mais il n’y en a pas, de proposition !

M. le comte de Bernis. — C’est un procès de tendance, voilà tout !

M. Jaurès. — Messieurs, voici le texte de ma proposition : « La Chambre décide qu’il y a lieu de réviser les articles 221, 222, 223 du code de justice militaire qui portent sur les voies de fait commises au service, et d’en effacer la peine de mort. »

Pour tracer le plus fidèlement possible la physionomie de ce débat, il nous paraît nécessaire de reproduire la réponse volontairement provocatrice de M. Charles Dupuy, président du conseil, avant de donner la réplique de M. Jaurès.

M. Charles Dupuy, président du conseil, ministre de l’intérieur et des cultes. — Messieurs, je ne viens pas à la tribune, comme l’a fait M. Jaurès, discuter d’une manière inconstitutionnelle et illégale l’arrêt du conseil de guerre. (Applaudissements à gauche, au centre et sur divers bancs à droite.) Je viens demander contre la motion de notre collègue la question préalable. (Vifs applaudissements.)

Il lui a plu, au nom d’un groupe qui se pique d’internationalisme (Nouveaux applaudissements), de venir ici, sous prétexte de défendre les petits, attaquer la hiérarchie et la discipline de l’armée. (Vifs applaudissements.) Si la question préalable n’était pas opposée à une pareille tentative, le gouvernement ne resterait pas une minute de plus sur ces bancs. (Applaudissements prolongés et répétés sur un grand nombre de bancs. — Bruit à l’extrême gauche.)

M. le Président. — La parole est à M. Jaurès sur la question préalable.

M. Jaurès. — Il y a quelque audace à venir parler, monsieur le président du conseil, d’internationalisme au lendemain précisément d’événements qui démontrent que ce sont vos amis… (Exclamations au centre et à gauche. — Applaudissements à l’extrême gauche.)

Voix nombreuses au centre. — A l’ordre ! — La censure !

M. Jaurès. — Ce n’est pas à vous que je dois des explications.

M. le Président du conseil. — Comment ! ce n’est pas à moi ?

M. Georges Leygues, ministre de l’instruction publique et des beaux-arts. — Vous vous expliquerez ! (Bruit.)

Au centre. — La censure !

M. le Président. — Il me semble, messieurs, que je viens de montrer que je n’hésitais pas à réprimer toute parole qui le mérite. Mais encore faut-il que la pensée de M. Jaurès soit complétée, pour que je puisse savoir s’il y a lieu à répression.

M. Jaurès. — Je dis, messieurs, — et ce ne sont pas les déchaînement de colère qui m’empêcheront d’exprimer ma pensée — qu’il y a quelque audace à venir lier, par les paroles prononcées par M. le président du conseil, ce qu’il appelle l’internationalisme avec les événements que vous savez, et cela précisément au lendemain du jour où M. le président du conseil, où le gouvernement tout entier a essayé, dans une certaine mesure, de couvrir contre une manifestation de la Chambre une partie de cette bande cosmopolite sur laquelle pèse… (Applaudissements à l’extrême gauche. — Vives rumeurs à gauche et au centre.) Mais certainement !

Sur divers bancs. — A l’ordre !

 

M. le baron Demarçay. — Il n’y a plus de règlement ! (Bruit.)

 

M. Louis Barthou, ministre des travaux publics. — Monsieur Jaurès, je n’ai qu’un mot à vous répondre : vous savez que vous mentez ! 1 (Vifs applaudissements au centre et à gauche. — Mouvement.)

A l’extrême gauche. — La censure !

M. Le président. — Je ne puis laisser passer de pareilles paroles. Je rappelle M. le ministre des travaux publics à l’ordre.

 

M. Gustave Rouanet, se tournant vers le banc des ministres. — Défendez Allez et ses 143 falsifications ! (Bruit.)

 

M. le Président. — Monsieur Rouanet, je vous rappelle à l’ordre.

M. Jaurès. — M. le président de la Chambre me permettra de lui dire que ce n’est pas par des rappels à l’ordre que doivent se régler de pareilles questions, et la Chambre me permettra de lui faire observer qu’elle prend une singulière attitude en s’associant par des manifestations collectives à des incidents qui doivent se régler ailleurs. (Mouvements divers.)

Mais non ! vous savez bien que le mensonge, il n’est pas chez nous ! (Applaudissements à l’extrême gauche. — Vives protestations au centre et à gauche.) Le mensonge, il est chez ceux qui se sentant menacés depuis quelques années dans leur pouvoir politique et dans leur influence sociale, essayent de jouer du patriotisme… (Nouvelles protestations sur un grand nombre de bancs. — Applaudissements à l’extrême gauche.)

Voix nombreuses. — A l’ordre ! à l’ordre !

M. de La Batut. — Ce langage n’est pas étonnant de la part d’un homme qui n’a jamais été soldat !

M. le Président. — Monsieur Jaurès, je ne puis pas vous laisser adresser de pareille paroles au gouvernement (Très bien ! très bien !) ; je ne puis pas vous laisser dire que le gouvernement essaye de jouer du patriotisme. Veuillez retirer cette expression.

Sur plusieurs bancs. — La censure !

M. le Président. — Autrement, je donnerai lecture à la Chambre de l’article du règlement qui me paraît applicable. (Très bien ! très bien !)

M. Jaurès. — Monsieur le président, j’ai dit en mon âme et conscience… (Mouvements divers.)

M. Paschal Grousset. — Nous le répéterons tous avec vous ! (Bruit.)

M. le Président. — Veuillez faire silence, messieurs.

M. Jaurès a la parole pour s’expliquer.

M. Jaurès. — J’ai dit que ceux qui depuis deux ans, se sentant menacés par le mouvement socialiste croissant… (Rumeurs et interruptions au centre.)

M. le Président. — Monsieur Jaurès, si vous ne déclarez pas que vous n’appliquez cette parole à personne dans cette enceinte, je serai obligé, je le répète, de donner lecture de l’article 124 du règlement.

M. Jaurès. — Le jugement que j’ai porté, s’appliquant à des partis, s’applique par conséquent à ceux qui sont à la tête de ces partis. (Vives réclamations à gauche, au centre et sur divers bancs à droite. — Applaudissements à l’extrême gauche.)

Voix nombreuses. — La censure ! la censure !

MM. Vaillant, Marcel Sembat et plusieurs membres à l’extrême gauche. — Nous sommes tous solidaires. M. Jaurès a parlé pour nous tous. (Bruit.)

La censure avec exclusion temporaire est prononcée contre M. Jaurès en vertu du paragraphe 4 de l’article 124 du règlement qui vise « les injures, provocations ou menaces » à un membre du gouvernement.  

Cette mesure soulève d’énergiques protestations à l’extrême gauche, que le procès-verbal officiel de la séance résume dans cette phrase :

A ce moment, plusieurs députés descendant dans l’hémicycle et se livrent à de vives altercations. — Tumulte. »

 

M. Jaurès se retire de la salle des séances entouré de ses amis du groupe socialiste, et la séance est suspendue.

 

A la reprise de la séance, la question préalable, demandée par le gouvernement, est votée par 437 voix contre 85

 

Tag(s) : #le socialisme français avant 71
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