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A la suite d’un accident de la compagnie de chemin de fer Ouest-Etat, nouvellement nationalisée, Jean Jaurès, directeur de L’Humanité, écrit le 19 février 1911  :

Voilà donc que, s’armant des accidents de l’Ouest-Etat, toute la presse capitaliste se rue contre les services publics. Tous les accapareurs, tous les monopoleurs, tous ceux qui, après avoir volé à la nation de magnifiques richesses, voudraient accaparer, monopoliser et voler encore, (...) tous ceux-là voudraient bien persuader la France que l’Etat démocratique est à jamais incapable de gestion industrielle, et qu’il faut laisser à des compagnies privilégiées les richesses déjà usurpées par elles, leur livrer toutes les richesses nouvelles.

Est-ce que le peuple ouvrier et paysan sera dupe de ces manœuvres ? Est-ce qu’il se laissera tromper et dépouiller une fois de plus ? Est-ce que, à l’heure même où partout dans le monde s’accentue la politique de nationalisation et de municipalisation, la France consacrera les prétentions de la féodalité qui la rançonne et qui l’asservit ?

Qu’on dénonce les erreurs de l’Ouest-Etat ; qu’on en recherche la cause ; qu’on projette sur toutes les responsabilités une lumière implacable ; (...) qu’on révèle les fautes de la bureaucratie qui a sans doute construit trop vite un régime nouveau ; qu’on demande des comptes à ceux qui, par complaisance pour la compagnie, ou par la plus coupable négligence, n’ont pas fait procéder à l’inventaire exact qui aurait permis, dans le règlement financier du rachat, de rabattre les prétentions démesurées des actionnaires ; qu’on organise, par une participation plus effective du personnel, du Parlement, du public lui-même représenté par des délégués élus à cet effet, un contrôle plus efficace ; qu’on ne craigne pas de procéder rapidement, au prix de l’effort financier nécessaire, au bon aménagement du réseau.(...)

Les travailleurs de la voie ferrée ont vu juste lorsque l’autre jour ils ont demandé, non seulement que le réseau de l’Ouest-Etat ne fût pas rétrocédé, mais que l’ensemble des réseaux fût nationalisé. Il y a pour la classe ouvrière tout entière un intérêt vital à ce que des services publics démocratiquement gérés se substituent aux monopoles capitalistes et à ce qu’ils fonctionnent excellemment.

D’abord, les travailleurs y peuvent conquérir, pour eux-mêmes, plus de garanties. Dans une démocratie, l’Etat, si bourgeois qu’il soit encore, ne peut pas méconnaître les droits et les intérêts des salariés aussi pleinement et cyniquement que les monopoles privés. (...) Le Parlement a intérêt, pour la transformation de la société capitaliste en société socialiste, à ce que de grands services publics, administrés selon des règles de démocratie et avec une large participation de la classe ouvrière à la direction et au contrôle, fonctionnent puissamment. Les services publics démocratisés peuvent et doivent avoir ce triple effet d’amoindrir la puissance du capitalisme, de donner aux prolétaires plus de garanties et une force plus directe de revendication, et de développer en eux, en retour des garanties conquises, ce zèle du bien public qui est une première forme de la moralité socialiste et la condition même de l’avènement d’un ordre nouveau.

Que les prolétaires défendent donc vigoureusement les services publics contre les campagnes systématiques de la presse bourgeoise, et contre les déceptions que produit dans la classe ouvrière elle-même une première application maladroite et arrogamment bureaucratique du régime de la nationalisation.

Qu’ils ne livrent pas l’Etat aux oligarchies ; mais qu’ils s’efforcent, en élargissant le domaine de l’Etat, d’accroître leur action dans l’Etat et sur I’Etat par le développement de leur organisation syndicale et de leur puissance politique.

Il y a là un élément nécessaire de la politique d’action de vaste et profonde « réalisation » que le Parti socialiste sera tenu de proposer à la démocratie française à mesure que le radicalisme décomposé manifestera son impuissance essentielle.
SOURCE : Le Monde Diplomatique
Tag(s) : #le socialisme français avant 71
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