Gerena en Andalousie est à quelques 25 kilomètres à l'ouest de Séville sur la route de Mérida. C'est une petite ville ou une grosse bourgade, qui vaut le détour. Depuis la route d'Aznarcollar, bourgade voisine on peut apercevoir les taureaux de combat du Marquis d'Albaserada et d'autres encore sur le haut du « Pueblo » duquel s'étendent les oliveraies et notamment celles de la Duchesse d'Albe. Il y a encore quelques décennies vers « los garrobos » ,une carrière de granit était exploitée pour la fabrication de pavés. L'agriculture a été l'activité principale de Gerena jusqu'à il y a peu de temps. C'est la grande exploitation qui domine et plus particulièrement sur la plaine vers Séville, propriétés de la noblesse espagnole et andalouse. Les habitants étaient pour la plupart des ouvriers agricoles, des journaliers et des ouvriers carriers.
Nous sommes à peine au tout début des années 20, c'est un jour de fête et une procession religieuse monte vers le centre du bourg et un garçonnet, béret vissé sur la tête croise le cortège auquel il ne s'intéresse pas. Le curé le saisit quand il est à sa hauteur et la file stoppe. Le gamin reçoit une magistrale paire de gifles , décoiffé et forcé de s'agenouiller et de se signer. Il se relève tel un ressort, enfonce son béret et est aussitôt frappé à nouveau et ainsi à plusieurs reprises. Il se dégage et s'enfuit à toutes jambes. La famille du garçon est condamnée à une amende équivalente à un mois de salaire d'un ouvrier agricole et il faut payer sur le champ, une somme que la famille ne possède pas. Le père possède un petit lopin de terre (parcela) mais très insuffisant pour nourrir la famille, il est obligé de vendre sa force de travail comme journalier chez les nobles. Il y a quatre enfants et José est le troisième. Malgré son jeune âge, il travaille à garder les chèvres, des autres. L'amende sera payée à la fin de chaque mois pendant plusieurs mois. Le salaire ne permet pas de manger de la viande, il paie le pain et le menu quotidien est plutôt frugal, huile d'olive et les quelques légumes du lopin, les pois-chiches notamment et les olives préparées. De temps à autre et pour les grandes occasions il y a de la viande de porc conservée dans l'huile ou le sel et la charcuterie maison. Pendant des mois de paiement de l'amende, même le pain se fit rare. Le peuple a faim en Espagne et plus particulièrement en Andalousie et on en meurt parfois. Les hommes les plus revendicatifs ne trouvent pas de travail ou très peu, seul Albaserada viendra en aide et contre les pratiques féodales des siens. La République n'a rien à lui reprocher dira plus tard José. La faim est telle que certains braconnent quelques lapins ici et là mais gare à celui qui est pris, il est fouetté publiquement. Il n'y a que ce que nous avons subis qui peut expliquer notre rage, « la rabia ».
Le jeune josé grandit, il devient porteur d'eau douze à quinze heures par jour et laboureur ensuite. Il travaille dans les champs avec une charrue tirée par une paire de bœufs, des « retintos » ou des taureaux de combat castrés. Le travail est souvent périlleux. L'école, c'est la nuit et dès qu'il apprend à lire, il dévore des livres qui le suivent partout, derrière les chèvres, à la fontaine, partout dans un petit sac à dos. Une première organisation syndicale s'implante, la CNT. Il lit les tracts , assiste à quelques réunions et adhère au syndicat. Il peut lire encore plus avec la bibliothèque de l'organisation et avec son argent de poche il achète d'autres livres et découvre Marx. Il va plus loin, jusqu'à Séville avec la bicyclette familiale , écouter les meetings politiques dont les militants sont souvent raflés à la sortie par la police. Les manifestations sont violemment réprimées et certains tombent sous les balles. José sera emprisonné et battu à quelques reprises. Il passe aux jeunesses socialistes du PSOE et fonde une importante section à Gerena et dans le même temps il intègre l'UGT , syndicat socialiste de Largo Caballero. Il est très jeune encore quand il affronte Santiago Carrillo lors d'une importante réunion à Séville des JS. Il admire Lénine dont il connaît les ouvrages . José est un anti stalinien de la première heure. Quand la République est proclamée, il finit le régiment et rentre à Gerena et conduit une délégation pour expliquer au curé que la religion et la messe, ce n'est plus une obligation et que chacun est libre. Il lui rappelle qu'il est interdit de frapper les enfants et de faire payer des amendes. Le prêtre prend peur et se réfugie au clocher de l'église. Tous espèrent une réforme agraire qui ne vient pas. Les réformes tardent, grèves et manifestations se succèdent et josé qui depuis son affrontement avec Carrillo avait encore évolué, lui et son groupe des JS du secteur Ouest de Séville, vers la quatrième internationale.
Il sent qu'un soulèvement militaire se prépare et ils prennent le train par centaines pour Madrid pour s'enrôler dans les colonnes du POUM et il livre sa première bataille les armes à la main en Extrémadure comme volontaire. Ensuite Madrid et l'Aragon avec la colonne « Lénine » et quelques rares permissions à Barcelone avec le groupe de Gandizo Munis et le front à nouveau à Belchite et encore le front avec la mitrailleuse « Vickers », l'Ebre et la « retirada ». Sans illusion il sait ce qui les attendent, les camps de concentration français avec toujours la faim, la soif et les brimades. Pendant le corvées du camp , il rencontre à l'extérieur le maire d'une commune catalane qui lui dit son étonnement d'avoir devant lui des hommes dans un tel état et qui aient pu se battre. Un ami de ce maire d'ajouter qu'ils n'étaient en fait que des fuyards et José de lui rétorquer que ceux qu'ils allaient connaître prochainement leur apprendraient à courir du nord au sud mais plus vite qu'eux .
Quand il quitte le camp c'est pour travailler dans une ferme dans l'Aveyron. Celui qui qualifie cette guerre d'impérialiste, qui est ou qui sera membre du groupe « Souvarine » arrive dans une zone de maquis. A son corps défendant il participe à l'action de résistance. Il est arrêté par la Gendarmerie française et torturé, relâché, il reprend péniblement son activité dans la ferme et auprès des maquis. C'est après avoir récupéré un blessé, un jeune maquisard sérieusement touché qui sera soigné dans le fenil par un médecin venu à bicyclette et évacué quelques jours après, que José est à nouveau dénoncé. La fermière l'avertit de l'arrivée des Gendarmes et il s'enfuit dans les bois. Ils étaient pires que la Gestapo dira-t-il.
Les échanges et les discussions étaient rares. La plupart des gens étaient naïfs ou apeurés et il n'était pas bon de parler avec des espagnols rouges. « Un jour une familière de la ferme m'a demandé si j'avais tué beaucoup de curés en Espagne. Je lui ait répondu , des tas madame, des tas, en riant ! ». « La pauvre, je n'en ait touché aucun, même quand il l'aurait mérité. Peut-être que si on les avaient mis au pas dès le début, nous n'aurions peut-être pas perdu la guerre ! ». La fin de la guerre et avec d'autres républicains espagnols ils convergent vers Toulouse. La ville libérée non sans quelques anecdotes non anecdotiques et la vie reprend, toujours dure pour les républicains. La vie politique et sociale aussi avec le groupe « Souvarine » et puis vers la fin de la Quatrième internationale pour José avec ses amis Roberto Montero et Federico Duran. Le courrier avec Pierre Broué et puis Montalban. Toujours l'UGT, les réunions et les « tertulias » avec ses amis Marin, Miguel Armentia fondateur des jeunesses socialistes en Espagne et Roberto et Duran et Sanz et tous les autres « companeros » de la génération des rebelles et des héros et il n'est pas besoin de fleurir leurs tombes, les fleurs de liberté y poussent toutes seules, rouges de leur sang. Adios José Quesada Suarez, tes cendres sont revenues à Gerena.