C'est une petite ville aragonaise à une quarantaine de kilomètres de Saragosse, au cœur de la bataille d'Aragon. Nous avons visité les ruines entretenues par le régime franquiste, avec José Quesada combattant républicain qui participa activement avec ses camarades à la prise Belchite. José Quesada avait plus de quatre-vingts ans quand nous avons entrepris le voyage. Il militait à la quatrième internationale et combattit dans la colonne « Lénine » du POUM. L'homme a une mémoire extraordinaire et nous nous sommes rendus en premier au cimetière de Huesca pour fleurir la tombe de deux officiers républicains légalistes fusillés par les rebelles franquistes . Sur la route après Saragosse nous nous arrêtons, munis d'une paire de jumelles , il me fait observer les points d'observation utilisés par les républicains. Il y a encore des morceaux de fils barbelés rouillés, quelques piquets et des vestiges de nids de mitrailleuses.
Il fait une chaleur torride à Belchite et nous rentrons dans le premier bistrot de la ville nouvelle pour nous désaltérer. Les hommes présents sont tous plus jeunes que José qui entame la conversation en offrant une tournée. Chacun donne la version de la bataille de Belchite, l'officielle, répétée pendant quarante ans par les vainqueurs. Etiez-vous là ? demande José. Pas un ,fut la réponse. Il explique et on sent la gène gagner nos interlocuteurs. Quelques questions sont timidement posées et le vieux combattant répond avec les dates et les heures en décrivant les lieux qu'il avait quitté depuis plus de cinquante ans et en se souvenant de quelques lieux-dits. José demande s'il y a encore de la famille « Grau », des parents d'un élu républicain qui était à Albalate « la luchadora » et d'un autre de Belchite, mort dans les Hautes Pyrénées où il a encore de la famille. Il demande encore à propos de telle ou telle famille réfugiée à Toulouse ou à Tarbes qui partirent avec les républicains, s'il reste de la famille. Les réponses sont négatives sur un ton interrogatif . Nous partons en saluant.
Nous débutons la visite des ruines désertes quand au bout d'une rue ombragée quelques vieux discutent assis sur des pierres et appuyés sur leurs cannes. Nous les saluons et José leur fait part de sa tristesse en contemplant les maisons éventrées. Eux aussi attribuent tout cela aux républicains mais aucun d'entre eux n'y était et pour cause rétorque José, ou encore trop jeunes ou venus d'ailleurs après la guerre. Il se tourne vers moi « Quand les fascistes sont rentrés, ils ont liquidé tout ce qui était républicain, quand ils sont revenus, tous ceux qu'ils avaient oubliés ! ».
Nous étions de repos à plus de vingt kilomètres d'ici, épuisés et affamés. Dans la nuit un jeune de Belchite est arrivé devant nos lignes, c'était à peine une adolescent, un « chabal ». Venez vite à Belchite, ils sont en train de tuer tous les nôtres. Ils sont passés maison par maison et ils ont raflé tout le monde. Ils ont fusillé tout le conseil municipal et leurs familles, tous ceux de la coopérative et tant d'autres, je suis le seul survivant de ma famille. Sur la place de la cathédrale il y a une montagne de cadavres. « Hijos de la gran puta », « asesinos ». nous voilà partis de nuit pour Belchite . Au petit matin nous cernions la ville, chacune de nos attaques étaient repoussées par les mitrailleuses. Nous avions bien quelques pièces d'artillerie légère mais trop peu de munitions. Les avions des fascistes italiens ravitaillaient les occupants et un camarade est mort à quelques mètres de moi en recevant un jambon sur la tête, là dans la plaine en face du canal, il y avait à l'époque des oliviers et peut être des abricotiers. Juste à l'entrée du village du côté de la plaine , il y avait une sorte de monastère et un pont qui enjambait le canal, il y avait des mitrailleuses . Un soir une colonne d'anarchistes est arrivée. Ils étaient vêtus de combinaisons noires, ils avaient des pioches des masses et des barres à mine, des grenades tout autour de la ceinture avec un poignard. La nuit , les visages noircis, ils se glissés jusqu'au mur borgne du monastère qu'ils ont percé en jetant des grenades à l'intérieur et ainsi de suite. Nous les suivions et nous avons pu détruire les nids de mitrailleuses en récupérants armes et munitions. Les moines étaient armés et ils résistaient malgré nos injonctions à déposer les armes. Ils étaient en état de rébellion armée contre la légitimité Républicaine et complices d'un crime odieux. Il faut savoir que Belchite la républicaine n'a fusillé personne depuis le début de la guerre. Ensuite avec mon camarade Juan Catalan nous avons remonté cette rue là-bas, chacun le long d'un trottoir, collés aux murs respectifs, un des nôtres marchait au milieu de la rue quand il voit une grenade qui n'a pas explosé, il lui donne un coup de pied, sa jambe est arraché et se retrouve pendue aux fils télégraphiques. Il est mort sur le coup. Nous convergeons vers la place de la cathédrale ou de l'église, un bâtiment imposant. Sur la place il y a effectivement une montagne de cadavres, l'odeur est insupportable. On y met le feu avec de l'essence. Des centaines de cadavres. Maison après maison nous sortons partout d'autres cadavres, des hommes des femmes et des enfants, souvent atrocement mutilés. Des dizaines de femmes viennent nous demander vengeance, elles ont été violées par la soldatesque fasciste. Ceux que ces femmes désignent sont fusillés après avoir été interrogés . La ville est intacte. Les caciques fascistes locaux qui désignaient aux franquistes les hommes et les femmes à tuer et tous ceux qui ont participé aux dénonciations et à la tuerie sont débusqués. Des croix étaient tracées sur les portes de tous ceux qui étaient supposés avoir des sympathies pour la République et de tous ceux qui ne figuraient pas sur les registres religieux de baptême ou de mariage. Nous avons repris Belchite maison par maison rue par rue.
Les franquistes sont rapidement revenus. Nous avons résisté comme des lions et puis l'aviation italienne entre autre et leur artillerie n'ont cessé de pilonner et de bombarder Belchite. Nous avons commencé par évacuer la population et déjà la ville était en ruines. Appuyés par leur aviation les franquistes ont repris Belchite, maison en ruine par maison en ruine et rue par rue. Nous avons quitté un tas de ruine et ils bombardaient toujours des heures après. Sans l'aide de l'aviation jamais ils n'auraient pu nous déloger. Ce fut ainsi, la nuit nous gagnions des positions, le jour avec l'aviation ils les reprenaient. Ces ruines, on les doit à l'aviation des factieux et à leur artillerie. Comment aurions nous pu avec une si maigre aviation et des canons sans munitions. L'horreur ce fut eux et la racaille fasciste locale. L'honneur est chez nous.
Nous reviendrons ultérieurement sur le récit de José Quesada à propos de Belchite et d'autres épisodes de la guerre d'Espagne auxquels il a activement participé en tant que combattant mais également comme militant Trotskyste.