Françoise Subileau
Le Parti socialiste est, à l’évidence, l’organisation politique la plus appropriée pour approcher la laïcité sous l’angle institutionnel et partisan. Dès l’origine, la SFIO s’est construite à partir d’une intention radicale de changement social du mouvement ouvrier et des valeurs de la tradition républicaine. La volonté d’émancipation, les aspirations à la liberté et à l’égalité, la confiance dans le progrès continu de l’humanité, tel est l’héritage que les républicains ont transmis aux socialistes. La laïcité, comme philosophie globale, morale sociale fondée sur la croyance dans la raison émancipatrice et, en même temps, réalité institutionnelle mise peu à peu en place dans le processus de rivalité entre l’État et l’Église catholique, représente l’un des éléments fondateurs de l’identité socialiste, à égalité, toujours problématique, avec la tradition marxiste encore revendiquée au début des années 19801. L’esprit des Lumières a pu, au cours du temps, s’affadir en « humanisme civique » et le messianisme révolutionnaire en volonté de réduire les inégalités. Il n’empêche que l’idéal d’une société égalitaire, fondée sur les libertés individuelles, refusant le jeu exclusif de l’économie de marché au nom d’une solidarité nécessaire, constitue encore aujourd’hui le cœur du projet socialiste.
2Garantie par la loi de Séparation des Églises et de l’État de 1905, promue au rang de réalité juridique par la Constitution de 1946 et celle de la Ve République, la laïcité s’est incarnée dans l’école publique. Doctrine appliquée à l’ensemble des rapports individuels et collectifs, elle est au principe du syndicalisme enseignant. Les socialistes ont revendiqué cette tradition, au centre de ce qui fait l’identité de la gauche française2. La laïcité a constitué longtemps la ligne de partage entre la gauche et la droite, celle-ci ayant toujours donné la primauté à la famille sur l’école. L’humanisme égalitaire de la gauche républicaine a, en revanche, trouvé son meilleur soutien dans l’école publique :
« Quand le socialisme au pouvoir, pour réaffirmer son identité, tente de “réinventer” la République, il le fait à partir de l’école. Des valeurs et une sociologie communes, un même attachement à l’État, employeur et garant, ont constitué un milieu, humain et idéologique, qui a porté la gauche à travers plusieurs générations3. »
3La SFIO a ainsi toujours été le parti de l’école publique. Il en va de même de son héritier, le Parti socialiste né en 1971 au congrès d’Épinay. Pourtant, après l’élection de François Mitterrand et la victoire de la gauche en 1981, la gauche laïque a connu une crise profonde : en 1984 l’échec de la loi Savary, la démission du ministre de l’Éducation nationale et le rejet du SPULEN (Service public unifié de l’Éducation nationale) ont mis à mal l’identité socialiste, déjà chahutée par le tournant de la rigueur du deuxième gouvernement Mauroy, l’inflexion libérale de la politique économique et la nouvelle valorisation du monde de l’entreprise. Où en est aujourd’hui la tradition laïque au sein du PS ? C’est à partir de deux enquêtes auprès des militants, l’une réalisée en 1985-1986, l’autre au printemps 1998 que l’on va tenter de répondre à cette question4.
4Il s’agit bien plus que d’étudier les relations entre le PS et le syndicalisme enseignant, ou d’insister sur la présence importante des professeurs et des instituteurs au sein du parti5 : ce qui est en cause, c’est une conception des relations entre l’État et les citoyens, une représentation du progrès sociopolitique, une anticipation de l’avenir. Car je fais mienne l’affirmation de Claude Nicolet : « La laïcité, à mes yeux, attribut central de la République, déborde largement le champ clos où l’opinion commune la croit limitée : les rapports de l’État et des Églises, et plus spécialement encore dans un lieu précis : l’École6. » Pour C. Nicolet, la laïcité est une valeur de principe, ayant accédé à la réalité juridique : « Il faut bien qu’il y ait quelque lien entre la nature même de la République et la laïcité, pour que cette dernière ait été jugée consubstantielle et indispensable à la première7. »
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