« Les conseils centraux des deux partis socialistes de France et d'Allemagne et les députés composant la fraction socialiste , tant au Reichstag qu'au Parlement français, ont publié ensemble, le 1er mars 1913, le manifeste suivant pour être affiché en même temps dans leur deux pays respectifs.
Au moment où, en Allemagne et en France, les gouvernements se préparent à déposer de nouveaux projets de loi, qui vont encore accroître les charges militaires déjà formidables, les socialistes allemands et les socialistes français estiment que c'est leur devoir de s'unir plus étroitement que jamais pour mener ensemble la bataille contre ces agissements insensés des classes dirigeantes.
Les socialistes allemands et les socialistes français protestent, unanimement et d'une même voix, contre les armements incessants qui épuisent les peuples, les contraintes à négliger les plus précieuses Ïuvres de civilisation, aggravent les défiances réciproques, et au lieu d'assurer la paix, suscitent des conflits qui conduisent à une catastrophe universelle, et qui aboutissent à la misère et à la destruction des masses.
Les socialistes des deux pays ont le droit de se regarder comme les interprètes, tant à la fois du peuple allemand et du peuple français, quand ils affirment que la masse des deux peuples, à une majorité écrasante, veut la paix, et qu'elle a horreur de la guerre. Ce sont les classes dirigeantes qui, d'un côté et de l'autre de la frontière, provoquent artificiellement, au lieu de les combattre, les antagonismes nationaux, attisent l'hostilité réciproque, et détournent ainsi les peuples, dans leur pays, de leurs efforts de civilisation et de leur bataille émancipatrice.
Pour assurer tout à la fois le maintien de la paix, l'indépendance des nations et le progrès dans tous les domaines des démocraties des deux Etats, les socialistes réclament que tous les conflits entre les peuples soient réglés par des traités d'arbitrage ; car ils estiment que les résoudre par la voie de la violence n'est que barbarie et honte pour l'humanité.
Ils réclament qu'à l'armée permanente, qui constitue pour les nations une permanente menace, soient substituées des milices nationales, établies sur des bases démocratiques et n'ayant pour objet que la défense du pays.
Et si enfin, en dépit de leur opposition passionnée, de nouvelles dépenses militaires sont imposées aux peuples, les socialistes des deux pays lutteront de toute leur énergie pour que les charges financières reposent sur les épaules des possédants et des riches.
Les socialistes d'Allemagne et de France ont déjà, par leur conduite dans le passé, démasqué le double jeu, le jeu perfide des chauvins et des fournisseurs militaires des deux pays, qui évoquent aux yeux du peuple de France, une prétendue complaisance des socialistes allemands pour le militarisme, et en Allemagne, une prétendue complaisance des socialistes français pour le même militarisme.
La lutte commune contre la chauvinisme, d'un côté et de l'autre de la frontière, l'effort commun pour une union pacifique des deux nations civilisées doivent mettre fin à cette artificieuse duperie.
C'est le même cri contre la guerre, c'est la même condamnation de la paix armée qui retentissent à la fois dans les deux pays. C'est sous le même drapeau de l'Internationale &endash; de l'Internationale qui repose sur la liberté et l'indépendance assurées à chaque nation &endash; que les socialistes allemands et les socialistes français poursuivent, avec une vigueur croissante, leur lutte contre le militarisme insatiable, contre la guerre dévastatrice, pour l'entente réciproque, pour la paix durable entre les peuples.»
Pour la Démocratie Socialiste d'Allemagne
Le Bureau : (12 signatures)
Le groupe socialiste au Reichstag : (112 signatures)
Pour le Parti Socialiste (Section Française de l'Internationale Ouvrière)
La Commission administrative permanente : (23 signatures)
Le groupe socialiste au Parlement : (72 signatures)
Reproduit par M. Chaulanges, Textes historiques 1871-1914, Delagrave, 1966.